7.

 

Remath, cloué sur place, trop épouvanté pour bouger, en oubliait les os, luisant sur le dallage. Dispersés, hideux, mêlés à mes dents et aux osselets de mes mains et de mes pieds, tels des cailloux.

Mardouk restait immobile.

Un long hululement s’éleva autour de nous. Je l’entendais comme un vent qui eût parcouru le palais et le temple, lentement, de corridor en corridor, d’alcôve en alcôve. Je levai les yeux et vis le monde dense des esprits, comme jamais je ne l’avais vu.

Les murs et le plafond de cette salle avaient disparu. Le monde entier n’était plus composé que d’âmes perdues et murmurantes qui s’élançaient, les mains tendues vers moi. Pourtant, elles me redoutaient.

— Allez-vous-en ! grondai-je.

Aussitôt, la nuée se dispersa, mais les hurlements me transperçaient douloureusement les oreilles. Lorsque je regardai à nouveau, le visage de Mardouk m’était étranger, non plus effrayé, non plus doux et confiant comme il l’avait toujours été jusqu’alors.

Je me détournai et m’approchai du corps d’Asenath, d’un pas léger, comme marcherait un homme, et je lui pris la tablette. Le texte était obscur, une forme de l’hébreu, oui, mais d’une époque très antérieure à la mienne. Je le lus en silence.

Je me retournai. Le prêtre s’était reculé dans l’angle le plus éloigné, et le dieu me regardait, simplement. Je déchiffrai les mots du mieux que je pus : « Ayant vu sa mort, ayant vu les fluides de son corps, et sa chair et son esprit et son âme réduits en bouillie dans les os, et scellés dans les os, en or à jamais, qu’il soit rappelé dans les os, contraint d’y rentrer, et contraint d’y demeurer, jusqu’à ce que le maître l’en rappelle. »

— Obéis, cria Remath. Rentre dans les os.

Je portai à nouveau mon regard sur la tablette. « Ces os une fois rassemblés contiendront à jamais son esprit. Passant d’une génération à une autre, il servira le maître qui en aura possession et pouvoir, afin d’accomplir ses commandements. Il n’en sortira que par la volonté du maître. Quand le maître dira : “Viens”, le Serviteur des Ossements viendra ; quand le maître dira : “Prends corps”, le Serviteur des Ossements prendra corps ; quand le maître dira : “Retourne aux ossements”, le Serviteur des Ossements lui obéira ; quand le maître dira : “Tue cet homme pour moi”, le Serviteur des Ossements tuera cet homme ; quand le maître dira : “Gis immobile et regarde, mon esclave”, le Serviteur des Ossements fera ainsi. Car le serviteur et les ossements ne font désormais qu’un. Aucun esprit sous les cieux ne peut rivaliser en force avec le Serviteur des Ossements. »

— Quelle histoire ! dis-je.

— Dans les ossements ! ordonna-t-il. Rentre dans les os. Il tremblait, serrant les poings et ployant les genoux. Rentre dans les os ! répéta-t-il. Gis immobile et regarde, mon esclave !

Je ne fis rien.

Je l’examinai longuement. Rien ne changea en moi.

Je vis les linges qu’il avait ôtés du lit. Les draps avaient été changés depuis que j’y avais dormi ; j’en pris un pour en faire un baluchon, où j’enfouis la tablette, puis les os. Je ramassai l’os de la cuisse, l’os de la jambe, les os des bras, le crâne, mon propre crâne, encore chaud et scintillant d’or ; je ramassai ainsi jusqu’au plus infime fragment de ce qui avait été Azriel, l’homme vivant, l’idiot, le fou. Je ramassai les dents, les osselets des orteils. Lorsque j’eus tout rassemblé dans un petit sac noué, je le jetai sur mon épaule, et regardai Remath.

— Sois maudit en enfer, gronda-t-il. Rentre dans les ossements !

Je m’avançai vers lui, tendis la main droite, et lui brisai le cou. Il était mort avant de tomber à genoux. Je vis un esprit s’élever, gauche et terrorisé, flou, bientôt informe, qui se dispersa avant de disparaître.

Je regardai Mardouk.

— Azriel, que vas-tu faire ?

Il paraissait totalement éberlué.

— Que puis-je faire, dieu Mardouk ? Que puis-je faire, sinon chercher le meilleur magicien de Babylone, le seul qui soit assez fort pour m’aider à apprendre mon destin et mes limites ? Ou alors dois-je me contenter d’errer tel que je suis ? Je ne suis rien, vois-tu, rien d’autre que l’ombre d’un être humain. Dois-je être réduit à errer ? Regarde, je suis solide et visible, mais je ne suis rien. Tout ce qui reste de moi se trouve dans ce sac.

Sans attendre sa réponse, je fis demi-tour et m’en allai. Je le congédiais, en quelque sorte. Tristement, me semble-t-il, et d’une manière impolie, irréfléchie. J’eus l’impression qu’il flottait près de moi et m’observait tandis que je partais.

Je traversai le temple, sous une forme humaine convaincante, interpellé d’innombrables fois par des gardes, que je repoussais de la main droite. Une lance me transperça le dos. Une épée me passa à travers le corps. Je n’éprouvai rien, et je regardai simplement les malheureux assaillants déconcertés.

Je pénétrai dans le palais et me dirigeai vers les appartements du roi. Ses gardes se jetèrent sur moi et je passai au travers d’eux, n’en éprouvant qu’un léger frémissement. Je les vis basculer derrière moi ; puis, levant les yeux, je reconnus Mardouk qui m’observait de loin.

J’entrai dans la chambre du roi. Cyrus était au lit avec une très belle prostituée ; m’apercevant, il jaillit hors du lit.

— Me reconnais-tu ? demandai-je. Que vois-tu ?

— Azriel ! s’exclama-t-il. Puis, avec une joie sincère : Azriel, tu as déjoué la mort, ils t’ont sauvé, oh, mon fils, mon fils.

C’était tellement franc et sincère que je restai médusé. Il s’approcha de moi mais, en m’étreignant, il s’aperçut que je ne possédais que l’apparence d’un être solide, comme une écorce, ou plus léger encore, une bulle à la surface de l’eau, pouvant éclater à tout instant. Pourtant, je n’éclatais pas, je sentais simplement ses bras forts autour de moi. Il recula.

— Oui, je suis mort, grand roi. Tout ce qui reste de moi est ici, dans ce sac, recouvert d’or. Maintenant, tu me dois une compensation.

— Comment cela, Azriel ?

— Quel est le plus grand magicien du monde ? Cyrus doit bien le savoir. Le plus fort et le plus sage des sages vit-il en Perse ? En Ionie ? Ou bien en Lydie ? Indique-moi où le trouver. Je suis une abomination ! Mardouk lui-même me craint ! Quel est le plus sage des hommes, Cyrus ? À qui confierais-tu ta propre âme damnée si tu étais à ma place ?

Il se laissa tomber sur le bord du lit. La prostituée, pendant ce temps, s’était couverte d’un drap et contemplait la scène. Mardouk entra silencieusement dans la chambre. Bien que son visage eût perdu sa froideur soupçonneuse, il n’avait pas retrouvé la chaleur que j’avais aimée.

— Je le connais, dit Cyrus. De tous les magiciens qui aient jamais défilé devant moi, seul cet homme possède le vrai pouvoir et la vraie simplicité de l’âme.

— Adresse-moi à lui. J’ai l’air humain, n’est-ce pas ? J’ai l’air vivant ? Adresse-moi à lui.

— Je vais le faire. Il vit à Milet, où il parcourt chaque jour les marchés pour acheter des manuscrits du monde entier. Il habite cette grande cité portuaire grecque, où il accumule la science. Il dit que le but de toute vie est la connaissance et l’amour.

— C’est donc un homme bon ?

— N’est-ce pas ce que tu souhaites ?

— Je n’y avais pas songé.

— Et pourquoi pas parmi ton peuple ?

La question me surprit. L’espace d’un instant, je fus assailli de noms, j’aperçus des visages, puis l’identité de ces êtres s’évanouit.

— Mon peuple ? Ai-je un peuple ?

J’essayais désespérément de retourner en arrière, de recouvrer la mémoire. Comment étais-je arrivé dans cette pièce ? Je me souvenais du chaudron. Je me souvenais de cette femme, mais comment s’appelait-elle ? Et de ce prêtre que j’avais tué. Et ce gentil dieu qui se tenait là, invisible du roi, qui était-il ?

— Tu es Cyrus, roi de Perse et de Babylonie, roi de l’univers, déclarai-je.

J’étais horrifié de ne plus connaître les noms de ceux que j’aimais – car je les avais encore aimés quelques instants plus tôt. Et cette vieille femme qui était morte, je l’avais connue toute ma vie ! Je me retournai et parcourus la chambre du regard, stupéfié. Elle était emplie d’offrandes, de dons des familles nobles de toute la Babylonie. J’aperçus un coffret en bois de cèdre et en or ; j’allai l’ouvrir.

Le roi m’observait sans mot dire. À l’intérieur étaient disposés des plats et des coupes.

— Prends-les si tu veux, proposa Cyrus, masquant fort bien sa peur. Laisse-moi appeler mes sept sages.

— Je ne veux que le coffret.

J’en vidai le contenu, doucement pour ne pas endommager ces objets précieux, puis je gardai le coffret entre mes mains, humant l’odeur du cèdre sous l’épaisse soie rouge qui le capitonnait. Je déchirai le pauvre sac de toile et commençai par ranger la tablette dans le coffret, avec ses inscriptions que je n’avais pas encore entièrement déchiffrées, puis j’y déposai délicatement mes ossements.

Je n’avais pas fini que la belle prostituée, s’approchant, me tendit un voile de soie dorée.

— Prends-le, dit-elle. Pour les envelopper. Pour les protéger.

J’en enveloppai les os, tandis qu’elle m’en apportait un autre, d’un violet profond, que j’acceptai et dont j’enveloppai encore les os, pour qu’ils ne s’entrechoquent pas quand le coffret serait déplacé. Je les avais à peine regardés.

— Rappelle-moi en eux, Cyrus, implorai-je. Rappelle-moi dans les os !

Cyrus secoua la tête. Mardouk éleva la voix.

— Azriel, rentre toi-même en eux, puis ressors-en. Fais-le maintenant, ou jamais tu n’en seras capable. C’est le conseil d’un esprit, Azriel. Mets de côté les particules qui constituent ta forme, et recherche l’obscurité. Si tu ne peux plus en sortir, je te rappellerai.

Le roi, incapable de voir ou d’entendre Mardouk, était embarrassé. Il évoqua une nouvelle fois ses sept sages, et, en effet, je pouvais entendre leurs voix étouffées dans l’antichambre.

— Ne les laisse pas entrer, grand roi. Les sages sont des menteurs, les prêtres sont des menteurs ; les dieux sont des menteurs !

— Je te comprends, Azriel, dit Cyrus. Tu es un ange de puissance, ou un démon de puissance, je ne sais, mais aucun sage ordinaire ne saurait te guider.

Je regardai Mardouk.

— Rentre dans les os, répéta-t-il. Je te promets d’employer tout mon pouvoir pour t’en sortir. Vois si tu peux y chercher refuge comme je le fais dans ma statue. Il faut que tu aies un refuge !

Je courbai la tête.

— Que je rentre dans les os, jusqu’à ce que je m’ordonne à moi-même d’en sortir ; vous, toutes les particules qui me constituez, vous resterez ici et attendrez que je vous rappelle.

Un grand vent s’engouffra dans les tentures du lit. La prostituée courut au roi, qui l’accueillit calmement entre ses bras. Je me sentis immense et aérien – en effet, je touchais les murs, le plafond et les quatre coins de la salle ornée de fresques –, puis le tourbillon se resserra autour de moi, et je sentis l’intolérable pression des âmes hurlantes et gémissantes.

— Soyez maudits ! hurlai-je. J’ai le refuge de mes propres os. Je rentre dans mes os.

L’obscurité se fit, dans une sérénité parfaite. Je flottais. C’était le plus doux repos que j’aie jamais goûté. Mais je devais agir, non ? Impossible. Enfin, la voix de Mardouk me parvint.

— Serviteur des Ossements, lève-toi et prends forme.

Je le fis. Ce fut comme une profonde respiration, puis un cri muet. Je me retrouvai sous la forme d’une réplique parfaitement acceptable d’Azriel, debout près du coffret ouvert et des ossements dorés. Mon corps miroita sous mon regard, puis se stabilisa. Je sentais la fraîcheur de l’air comme si jamais je ne l’avais connue.

J’observai Cyrus, puis Mardouk. Je savais à présent que si je rentrais dans les ossements, je n’avais pas le pouvoir d’en revenir. Mais qu’importait ? Là m’attendait le sommeil velouté. Là m’attendait le sommeil tel qu’on le connaît, adolescent, allongé sur l’herbe tiède d’une colline, caressé par la brise et sans souci.

— Je vais à présent rentrer dans les ossements, dis-je. Grand roi, je t’en supplie, envoie-les dans ce coffret, avec la tablette, à ton sage de Milet. Fais cela pour moi. Si tu me trahis, qu’arrivera-t-il ? Je l’ignore. Quelqu’un d’autre… m’a trahi, mais je ne me rappelle plus qui…

Il s’avança pour m’embrasser, sur les lèvres, à la manière des Perses, rois ou égaux. Je me retournai pour regarder Mardouk.

— Mardouk, viens avec moi. Je ne sais plus ce qu’il y avait entre nous, sinon que c’était bon.

— Je n’en ai pas le pouvoir, Azriel, répondit-il calmement. Comme te l’a dit le grand roi Cyrus, tu es ce que les mages appellent un ange de puissance, ou un démon de puissance. Je n’ai pas un tel pouvoir. La tendre flamme de mes pensées est alimentée par le peuple de Babylone qui croit en moi et me prie. Même en captivité, la dévotion de mes ravisseurs me soutenait. Je ne puis t’accompagner. Je ne saurais même pas comment faire.

Je fronçai les sourcils.

— Mais pourquoi te fier à un homme, fût-il roi ? reprit-il. Prends toi-même ce coffret et va où tu veux…

— Non. Regarde. Mon corps frémit. Je suis sans forces, comme un nouveau-né. Je ne peux pas. Je dois me fier à… Cyrus, roi des Perses. S’il veut se débarrasser de moi, s’il est aussi vil et cruel envers moi que tous ceux que j’ai aimés, je trouverai bien un moyen de me venger, n’est-ce pas, grand roi ?

— Je ne t’en donnerai pas cause. Écarte ta haine de moi. Elle me blesse. Je la ressens !

— Moi aussi, m’écriai-je. Quel sentiment divin que la haine ! Être en colère ! Détruire !

Je fis un pas vers lui.

Il ne bougea pas. Il me dévisageait, et je me sentis doucement pétrifié, incapable de rien faire que le fixer dans les yeux. Je n’essayais pas vraiment de m’opposer à lui, mais je sentais sa domination, enracinée dans la hardiesse et la victoire, et je restais immobile.

— Aie confiance en moi, Azriel. Tu m’as fait roi du monde, et je ferai en sorte que tu sois confié au mage qui t’enseignera tout ce que peut apprendre un esprit.

— Roi du monde ? Ai-je fait cela pour toi, homme magnifique ? lui demandai-je.

Je m’ébrouai. Je le connaissais, bien sûr. Le drame. L’haleine du lion.

Je ne savais plus. Plus rien.

Mardouk éleva la voix, mais il n’était plus désormais qu’un esprit gentil et doux.

— Azriel, sais-tu qui je suis ?

— Un ami ? Un esprit ami ?

— Quoi d’autre ?

J’étais inquiet.

— Je ne me souviens plus.

Je lui confiai que je me souvenais du chaudron, et d’avoir tué ce prêtre anonyme, et de la vieille femme morte. Je connaissais le roi, oui. Mais je ne me le rappelais pas vraiment. Je perçus soudain un parfum de rose. Je baissai les yeux, et vis le sol jonché de pétales.

— Donne-les-lui, dit aussitôt Cyrus, en désignant les pétales à la prostituée.

La douce prostituée ramassa les pétales par poignées.

— Mets-les pour moi dans le coffret, ordonnai-je. Quelle est cette ville ? Où sommes-nous ?

— À Babylone, répondit Cyrus.

— Et tu m’envoies à Milet voir un grand magicien. Il faut que je sache son nom et que je m’en souvienne.

— Il t’appellera.

Je les observai une dernière fois. Je m’approchai des fenêtres qui s’ouvraient sur le fleuve, et je regardai dehors en songeant : Quelle cité magnifique, illuminée de tous ces feux, cette nuit, et résonnant de tous ces rires joyeux !

Sans élever la voix, je dispersai ma forme, rageant contre les esprits qui m’assaillaient, et je replongeai dans l’obscurité veloutée. Mais, cette fois, je pouvais humer les roses, et avec les roses me revint un souvenir. Le souvenir d’une procession, de gens qui agitaient les bras en criant des acclamations, d’un beau jeune homme qui chantait d’une voix magnifique, et de pétales lancés si haut qu’ils retombaient en pluie sur nous, sur nos épaules… Puis le souvenir s’évanouit.

Je n’allais plus me rappeler ces moments, ces choses, ce que je viens de vous raconter ici, Jonathan, pendant deux mille ans.

 

Azriel se laissa aller contre son dossier.

Il faisait presque jour.

— À présent, il faut vous reposer, Jonathan. Sinon, vous retomberez malade. Et je dois dormir. Je redoute ce qui va arriver. Je suis fatigué, fatigué !

— Où sont les ossements, Azriel ?

— Je vous le dirai quand nous nous réveillerons. Je vous raconterai tout ce qui s’est passé avec Esther, avec Gregory, et avec le Temple de l’Esprit. Je vous dirai…

Il paraissait trop las pour poursuivre. Il se leva puis, très fermement, m’aida à quitter mon fauteuil.

— Il faut boire encore du bouillon, Jonathan.

Il m’en donna une tasse, posée près de l’âtre, et je la bus ; puis il m’accompagna jusqu’à la petite salle d’eau de mon chalet, et se détourna poliment pendant que j’urinais ; il m’aida ensuite à me mettre au lit.

Je tremblais de tout mon corps. J’avais la gorge serrée, la langue enflée.

Je pouvais voir qu’il était dans une grande anxiété. Le récit de son histoire avait été une dure épreuve.

Il dut lire ma compassion.

— Je ne le raconterai plus jamais, murmura-t-il. Je ne veux plus avoir à le raconter, je ne veux plus revoir le chaudron bouillonnant.

Sa voix se brisa. Il secoua la tête pour se ressaisir, puis me fit boire de l’eau fraîche, délicieuse.

— Ne craignez rien pour moi, dis-je. Je me sens bien. Seulement un peu fatigué, un peu faible.

J’avalai une dernière gorgée d’eau, longuement, puis je lui tendis la bouteille, et il but une gorgée plus longue encore. Il sourit.

— Que puis-je pour vous ? demandai-je. Vous êtes mon invité et mon protecteur.

— Voudrez-vous me laisser dormir près de vous ? Comme des gamins dans les champs, pour que… enfin… si le tourbillon vient me prendre, si les âmes m’approchent, que je puisse toucher votre main tiède.

J’acquiesçai. Il me borda sous les couvertures, puis s’installa à côté de moi. Je me tournai vers lui, et il écarta son visage. Sa robe de velours rouge était confortable, moelleuse, épaisse. J’avais le bras passé autour de lui. Il s’enfonça dans les couvertures, la tête dans l’oreiller, ses boucles noires contre ma figure, respirant l’air pur du dehors et la douce fumée du feu.

La lumière du jour commençait à ramper sous la porte ; je pouvais voir à sa clarté et à sa chaleur que la tempête de neige s’était calmée. Le feu brûlait, la matinée était paisible.

Je me réveillai une première fois à midi. J’avais chaud, je marmonnais, et je faisais un cauchemar. Il me releva et me fit boire un verre d’eau fraîche. Il y avait mis de la neige, elle avait un goût pur. Je bus longuement, puis me recouchai.

Il semblait miroiter, vêtu de rouge, avec ses grands yeux noirs. Sa barbe et sa chevelure paraissaient soyeuses, et je songeai aux textes anciens évoquant des onguents, des huiles et des parfums pour les cheveux. Puis me revint un véritable panorama des bas-reliefs que j’avais admirés dans le monde entier.

Je me remémorai les grandes sculptures assyriennes du British Muséum, les photos. « Le peuple à la tête noire », voilà comment se désignaient eux-mêmes les Sumériens. Nous étions issus d’eux, en quelque sorte mélangés à eux, et je comprenais maintenant pourquoi ces étranges sculptures de rois barbus en longues robes m’étaient plus proches que les emblèmes européens que j’avais chéris, alors qu’en fait ils importaient peu.

— Vous avez bien dormi ? demandai-je, mais je sombrais déjà.

— Oui. Dormez, à présent. Je vais sortir marcher dans la neige. Dormez, vous m’entendez ? Le dîner sera prêt à votre réveil.

Le sortilège de Babylone
titlepage.xhtml
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Rice,Anne-Le sortilege de Babylone(1996).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html